En matière de construction privée comme dans les plans d'urbanisme, il arrive qu'on décide de rendre inconstructibles certaines zones servant un fonds dominant. Ces parcelles de terrain sont appelées zones non ædificandi. On fait le point sur les applications de cette notion et sur son encadrement légal.
Servitude non ædificandi : qu'est-ce que c'est ?
Une servitude suppose l'existence de deux biens :
- le fonds dominant (terre qui permet la construction d'une servitude) ;
- le fonds servant (parcelle à laquelle s'applique la servitude).
Les servitudes en général, et les servitudes non ædificandi en particulier, sont une limitation du droit de la propriété :
- En effet, le Code civil, à son article 689, dispose (sans la citer) que la servitude non ædificandi est une interdiction de bâtir sur un fonds, ce qui restreint les droits du propriétaire du fonds servant.
- Il s'agit d'une servitude non-apparente, qui peut être d'origine conventionnelle (privée) ou issue d'un plan local d'urbanisme (publique).
Une interdiction de construire à préciser lors de son établissement
La loi ne donne aucune précision quant aux constructions prohibées, estimant que chaque servitude non ædificandi est définie par l'acte qui l'établit et par l'intention des parties.
Cependant, une route ou une dalle étant considérées comme des constructions, la jurisprudence a dû préciser cette notion :
- On estime ainsi que toute construction dépassant du sol est interdite sur une zone non ædificandi.
- Cependant le terrassement d'un talus peut être interdit.
- La prohibition concerne aussi certaines plantations.
De plus, une réponse ministérielle de 2008 précise que, lorsque les servitudes non ædificandi ne sont pas définies dans leur acte fondateur :
- Elles correspondent à l'interdiction d'ériger toute construction au sol, en surplomb ou en sous-sol sur une servitude.
- En revanche, cette servitude ne vaut pas si la construction est temporaire (moins de 3 mois). Ce délai est limité à 15 jours dans les sites protégés ou classés.
Servitude non ædificandi : à quoi sert-elle ?
Les raisons d'établir une servitude non ædificandi sont nombreuses. Elles dépendent essentiellement de la situation géographique des deux fonds (le dominant et le servant). On peut recourir à la servitude non ædificandi pour :
- préserver l'éclairage naturel ;
- garder une vue dégagée sans vis-à-vis ;
- laisser circuler l'air librement ;
- dans certains lotissements, permettre que seules des maisons y soient construites, sans annexes nuisant à l'harmonie de l'ensemble ;
- préserver la tranquillité d'un lieu (notamment dans les cimetières).
Servitude non ædificandi : comment est-elle créée ?
La servitude non aedificandi peut être établie par le ou les propriétaires du fond, ou relever d'un plan local d'urbanisme.
Servitude conventionnelle
Les propriétaires de deux fonds voisins sont libres d'établir contractuellement une servitude ou d'en modifier une existante.
Il leur est recommandé de passer devant notaire pour faire publier la servitude au service de publicité foncière (anciennement conservation des hypothèques, ces dernières ayant été supprimées à compter du 1er janvier 2013 par l’ordonnance n° 2010-638 du 10 juin 2010). Cela leur permet de la rendre opposable aux tiers, notamment en cas de vente.
En effet, la servitude est un droit qui s'attache au bien et non à son propriétaire :
- Ainsi, si le bien est cédé, la servitude demeure.
- En revanche, si la servitude n'est pas annoncée lors de la cession, l'acquéreur pourra demander la résolution (annulation) de la vente ou l'octroi de dommages-intérêts. D'où l'intérêt de toujours se renseigner au service de publicité foncière avant d'acquérir un bien immobilier.
Bon à savoir : en cas d'irrespect d'une servitude civile, c'est aux particuliers s'estimant lésés, et non à l'administration, de contester devant le Tribunal de grande instance.
Zone non aedificandi d'urbanisme
Lorsque la servitude non ædificandi est édictée par un plan d'urbanisme, tout litige doit être porté devant le Tribunal administratif.
Si l'affectation de la zone dépend du plan local d'urbanisme (PLU), c'est ce dernier qui précise les interdictions et auquel il faut se référer.
À noter : le classement d’une zone en espace boisé interdit tout changement d’affectation ou tout mode d’occupation du sol de nature à compromettre la conservation, la protection ou la création de boisements, y compris en vertu d’une servitude conventionnelle créée avant le classement en zone protégée mais dont la réalisation est ordonnée postérieurement à ce classement (Cass, 3e civ., 15 mars 2018, n° 17-14.366).
L'interdiction de construire vue par les juges
Ce sont les juges, au fil de la jurisprudence, qui délimitent les contours de la notion de zone non ædificandi.
En cas de litige ou d'irrespect d'une interdiction de construire, le juge étudie attentivement :
- la lettre de l'acte qui constitue la servitude ;
- l'état d'esprit qui animait ses rédacteurs.
Cette enquête peut permettre d'éclaircir des zones d'ombres autour de la notion et d'y apporter des précisions.
Ainsi, dans la réponse ministérielle de 2008 :
- Les piscines hors-sol, même démontables, sont réputées violer l'interdiction de construire. Il en va de même pour l'érection de cabanons en bois destinés à ranger du matériel, si le règlement du lotissement concerné interdit toute construction (TGI de Grasse, 21 novembre 1969).
- En revanche, dans le même lotissement, le juge estime que la mise en place d'un terrain de sport ne viole pas la servitude non aedificandi. En effet, une telle construction ne dépasse pas le sol. Ainsi, il arrive aux juges de tolérer des piscines enterrées ou des garages souterrains (TGI de Nice, 5 novembre 1969).
Comment mettre fin à une servitude non aedificandi ?
Bien qu'elles constituent une limite au droit de propriété, et notamment à l'usus, les servitudes non ædificandi permettent aussi de préserver une certaine qualité de vie. Toutefois, elles peuvent prendre fin dans certains cas :
- La jurisprudence considère que lorsqu'une zone non aedificandi n'a pas été respectée (érection d'une construction) pendant plus de 30 ans sans contestation, il est possible d'y construire, même un bâtiment plus grand. C'est ce qu'on appelle la prescription trentenaire.
- Quand il devient impossible d'utiliser le terrain, la servitude s'éteint avec la praticabilité de la zone.
- On peut aussi mettre fin à une servitude par commun accord des parties, en cas de zone non aedificandi conventionnelle.
À noter : si des travaux sont entrepris sur la servitude non ædificandi sans être remis en cause, la jurisprudence considère qu'il y a renonciation au droit de contester.
Pour approfondir la question :
- Le non-respect des servitudes est à l'origine de nombreux conflits de voisinage.
- Pour plus d'informations sur le plan local d'urbanisme, consultez notre article consacré aux principaux documents d'urbanisme.
- Lors de la deuxième visite avant l'achat d'un bien immobilier, n'hésitez pas à poser un maximum de questions pour éviter les mauvaises surprises. Téléchargez gratuitement notre fiche pratique pour en savoir plus.